La vie me choque. J'ai la sensation que c'est une pensée bizarre mais il y a beaucoup de choses dans la vie normale, dans la vie courante que je trouve bizarres, dérangeantes, profondément inessentielles alors que jugées normales.
Le week-end passé avec mon ami me fait réfléchir - et les choses de l'amour m'échappent (évidemment)... ça m'a fait dire : j'ai la sensation d'être une enfant dans le corps d'une femme. Impression étrange ! (Et je comprends tout à coup pourquoi on associe les écrits de Mireille Sorgue avec l'enfance...)

J'ai toujours été une personne "à part"... - je le reste. Je me suis toujours tellement sentie ailleurs, au-delà ou en-deça (peu importe mais pas là où il faut, pas accordée aux autres) - et les autres l'ont senti et me l'ont fait sentir. Je n'ai jamais été des leurs. Solitude inexorable. Je ne me suis jamais accordée, non, - ni à treize, ni à vingt-trois ans. Je n'ai jamais fait partie des êtres humains (drôle de formulation) - je suis toujours comme frappée de cette étrangeté, cette altérité irrémédiable qui me fait reconnaître pour autre... pour rien ou pour trop étrangère pour faire communauté - ou pour déifiée (donc inaccessible, inabordable, infrayable).
Je pense à Colette Peignot... qui avait toujours sentie qu'on l'a mettait trop haut ou trop bas - jamais à sa juste place... Moi aussi, on m'a adorée - comme un soleil - et je suis restée de marbre sans comprendre - dans ma simplicité étrangère - à hauteur d'oiseaux et de fleurs... ou on m'a piétinée comme une moins que rien, comme une personne trop douce à la voix trop frêle...

Je n'ai jamais compris les codes - et encore moins l'amour... A passer des heures à observer les corneilles, les corbeaux et les geais - et briser des noix sous mes talons pour eux, émue - et sentir mon cœur battre... - je ne comprends pas qu'on puisse aimer autrement que toute cette vie, nature merveilleuses... ou que mon corps soit objet-sujet de convoitise - de quoi ? Je pourrais passer ma vie à chérir des fleurs sans ressentir le moindre trouble, sans ressentir l'appel d'une quelconque nudité - sinon celle de s'allonger dans la terre et se laisser choir comme une feuille morte et dévorée. - Pour renaître et germer, se relever d'avoir été fruit, étirer mes racines et mes branches...
Non, je n'ai pas compris les choses de l'amour - ni bâtir - et j'ai continué de crier mon bonheur et le nom des fleurs - j'ai continué... enfantine... à élancer mon corps de femme dans les rues en brisant les pavés pour éclore dans la ville. Et j'ai regardé le ciel - "mystique" - la nue dans les yeux... trop d'innocence dans mes gestes si bien que la sensualité est une faute - oh que je suis restée autre... dans ma grâce... laissée-pour-compte au Désir qui pour moi a cet autre sens...
Je suis restée les lèvres gorgée de rosée dans l'incommunicable du ciel - qu'ils baiseront sans comprendre - en violant ma vie - sans autre blessure que ce goût d'éther à mes yeux... et le sang qui pulse - dans l'extase de n'avoir pas été... je suis, par stupeurs, dans l'immensité du néant - cœur flottant sans fêlure.