Je me demande ce que je ressentirais si je pouvais aimer un (des) être(s) humain(s) comme j'aime le vent, l'orage, les euphorbes et n'importe quoi. C'est l'extase. Je déborde d'amour, je déborde de désir et même la canicule me fait pleurer parce que je la ressens dans mon corps et elle est belle, elle est grandiose, elle est. C'est renversant, cette beauté du monde : je manque presque de mots et ne peux pas y croire. Je voudrais tout exprimer. (C'est une prière).
Deux choses : je suis heureuse ou j'ai touché dieu. Mais je ne suis pas religieuse pour un sou, seulement le vocabulaire religieux m'engorge la bouche. Oui, je sens le divin, je suis divinisée. Jana Černá parlerait plutôt de grâce (milost) et pour moi, je ne fais pas de différence entre cette grâce, le divin, le bonheur et l'être...
Cet amour est sans mesure, c'est un abandon allègre, offrir son être tout entier... et, oh j'en pleurerais presque (pas de joie, cette fois), c'est ça qui coince : quelle tranquillité ce doit être de pouvoir s'abandonner tout entier (toute entière) à quelqu'un. Ou ne serait-ce que devant quelqu'un.
Mais l'être humain, c'est la peur totale, une obscurité immobile qui nappe mes bras, dégouline, s'engouffre dans mes yeux, dans mon nez, dans ma bouche. J'étouffe. L'amour est une lente asphyxie, une atrophie progressive de mes muscles, de mes pensées, de mes sentiments. Je veux partir, un grand bol d'air de solitude, vite, sentir l'air circuler à nouveau dans mes poumons, le soleil couler dans mes yeux, dans ma gorge, tout ce miel qui remplace doucement mes veines (non, plus de sang qui gicle fantasmatiquement). Je revis, je vis, quel bonheur inespéré que d'être en vie, quelle délicatesse, quelle grâce... À cette pensée les larmes coulent : comme la vie me paraît belle (comme elle est belle après l'enfer). J'ai ce désir immense, qui gonfle ma poitrine, de célébrer la vie. (Et si cette célébration, cette émotion devant tout pouvait se propager... !)
Devant tout ? Mais non, la faille est là... Qui disait avoir peur de ne plus voir la beauté des êtres à force de voir la beauté des choses ? C'est bien ce qui pourrait m'arriver. Et par compensation, je pense aussi qu'il y a une merveille dans les êtres humains, mais je doute d'être capable de la ressentir. Cela ne prend qu'une forme intellectuelle... Oui, je passe à côté de la beauté de gens, connaître ou donner la grâce par/à quelqu'un. Voilà pourquoi je me demande ce que ce serait... avec un air rêveur, un soupir léger ; mais pour tout le reste, la beauté est dans mes yeux et c'est une véritable félicité.
(Ce n'est qu'une question d'histoire personnelle, je me figure assez bien ressembler à un animal maltraité qui ne peut approcher personne - ou que personne ne peut approcher -, mais vivre seule est un véritable baume, et n'est-ce pas assez que d'y avoir trouvé le bonheur ?)