J'ai fait un voyage à Malte avec une amie en juillet, voilà mon plus beau souvenir:

" De Marsaxlokk, petit village pittoresque de pêcheurs, à St Peter's Pool, piscine naturelle à l'eau turquoise prisée des touristes, il n'y a qu'une dizaine de minutes de taxi ou bien une demi-heure de bateau. Les pêcheurs de touristes campent sur le port et proposent aux voyageurs un aller-retour pour dix euros mais, la pandémie du coronavirus ayant fortement atteint le tourisme local, leur pêche est bien maigre voire le plus souvent nulle. 
Je ne sais si c'est par curiosité ou bien par pitié que nous montâmes dans une de ces barques à moteur maltaises, se distinguant par les couleurs vives qu'elles arborent. 
Au drôle d'appareil planté dans son oreille et à son accent qui détonnait avec celui maltais, nous comprîmes que le pêcheur qui nous conduisait était malentendant. Il portait un vieux tee-shirt troué sur lequel était écrit une phrase en français dont je ne me souviens plus exactement les mots, mais peu importe car je pense qu'il le portait sans les connaitre lui non plus dans la mesure où il ne parlait ni ne comprenait un mot de français.
Nous passâmes d'abord par le port, dans lequel était amarrées les "luzzu", barques bleues, vertes, jaunes, rouges et blanches typiquement maltaises. Et nous traversâmes la mer. Là, notre pêcheur nous parla de la ville et de ses alentours; il nous indiqua un peu plus loin les usines d'électricité et de gaz et bifurqua étonnement sur un éloge de la beauté du coucher de soleil à l'horizon. Il nous raconta que lorsqu'il n'était pas sur le port en train " de pêcher des touristes", il était en mer en train de pêcher des daurades principalement. Mais il faut y aller tôt, 6h45 du matin. Il nous montra sur son téléphone ses prises dont il était particulièrement fier, avec une étincelle dans les yeux de bonheur et d'enthousiasme. Il riait avec passion, un rire honnête qui ne dissimulait pas la joie qu'il avait de nous partager tout ce qu'il connaissait de son pays.
Un peu plus loin, nous contournâmes la péninsule de Delimara, falaise qui délimite la baie de Marsaxlokk. Le pêcheur nous raconta l'histoire du fort de Delimara dont la vue attisait notre curiosité.Ce fort avait été construit par les britanniques à la fin du XIV ème siècle afin de protéger le port de Marsaxlokk.
Au bout de la péninsule, s'étendaient sur la mer de larges bandes de terre sur lesquelles se multipliaient les panneaux "no entry". Nous apercevions de drôles de maisonnettes au bord de la mer, dont la plupart était troglodytes. Le pêcheur nous raconta que ces maisons étaient celles de vieilles familles maltaises qui produisaient du sel à partir de l'eau de mer récoltée. Si les salines de l'île de Gozo sont connues, ici le travail traditionnel du sel est une affaire familiale dont seuls quelques habitants du port connaissent encore la technique. Nous croisâmes alors quelques sauniers qui nous firent signe de la main lorsque nous passâmes devant eux. Leur peau était tannée par la chaleur du soleil, implacable et sans brise. Leurs visages étaient creusés par le travail et la fatigue, semblables aux falaises rongées par l'eau et le sel. Et ils nous sourirent avec légèreté. Je pensai à mon père que j'avais souvent vu tailler la pierre sous des chaleurs caniculaires avec des mains écorchées par le marteau et le burin. Je pensai que la misère se ressemblait dans tous les coins du monde et que rien ne nous rapproche plus les uns des autres que la souffrance: "Prolétaires de tous pays, unissez-vous!"
Le trajet continua jusqu'à Snt Peter's Pool où notre pêcheur nous laissa. Il vint nous rechercher trois heures plus tard. Au retour nous mîmes plus de temps qu'à l'aller car nous nous arrêtâmes dans des endroits secrets et cachés, infréquentés des touristes et accessibles seulement en bateau. L'eau y était plus cristalline qu'aux autres endroits. A la fin nous revînmes au port. Nous remerciâmes notre pêcheur et nous partîmes.
Je me permets de parler au nom de mon amie si j'affirme que cela restera le plus beau moment de notre voyage.
Jamais nous n'avons pensé à demander son nom à notre pêcheur, mais cet inconnu nous a offert notre plus beau souvenir."