"Causalité et finalité, déterminisme et finalisme, matérialisme et spiritualisme sont des alternatives irréductibles parce qu'elles se réfèrent à un seul sens de l'écoulement du temps, celui de l'horloge, de l'entropie croissante, de la désorganisation de l'univers décrite par le second principe de la thermodynamique. Mais force est de remarquer qu'il existe une évolution apparemment opposée, qui va vers l'accroissement de la complexité, la production de nouveauté, tout aussi constatables dans la nature que dans la société. Faut-il pour autant en déduire que cela répond à un plan préétabli ?
Je suis beaucoup plus empirique et pragmatique, à l'anglo-saxonne, et je constate que l'activité humaine, surtout aujourd'hui, accroît la complexité de façon telle que ce flux de création d'information de plus en plus intense s'oppose désormais à la dégradation entropique. Je pense que nous sommes dans un système que nous commençons à peine à comprendre et à déchiffrer, livré à un processus que j'ai appelé, dans mon livre L'Homme symbiotique, l'« évolution symbionomique » - j'ai trouvé ce néologisme plus pratique et plus court que « Théorie générale de l'auto-organisation et de la dynamique des systèmes complexes » ! [...] L'évolution donne à beaucoup l'impression que tout a été créé volontairement, qu'une intelligence suprême a produit ce que nous sommes. En réalité, nous sommes le résultat de beaucoup de hasards, de chaos, d'amplifications, de bifurcations et de structures dissipatives successives. Tout celui conduit à un pattern, à une forme émergeante, que nous analysons après coup et que, rétrospectivement, par dérive anthropomorphique, nous associons à une impressionnante cascade de causalités qui nous semblent intentionnelles. Mais c'est une illusion." « Entretien avec Joël de Rosnay », Le Monde s'est-il créé tout seul ?, Patrice Van Eersel