"L'homme instruit par l'histoire sait par quels procédés il peut obtenir des changements. Il sait que ces changements de conception politique, de tournure d'esprit, de mode intellectuelle, ne se produisent pas brusquement dans la grande masse d'une société à la fois et que, s'ils se produisent chez quelques individus seulement, ces novateurs isolés seront impuissants à entraîner tout un peuple. Il est mis en garde contre deux erreurs en sens inverse : d'une part la croyance au progrès continu, sortant fatalement d'un instinct naturel des masses; d'autre part la théorie de l'action décisive des grands hommes, qui mène au culte des héros [...] Ainsi l'étude des transformations nous affranchit de deux sentiments inverses mais également dangereux pour l'activité. L'un est l'impression qu'un individu est impuissant à remuer cette masse énorme d'hommes qui forment une société : c'est un sentiment qui mène au découragement et à l'inaction. L'autre est l'impression que la masse humaine évolue toute seule, que le progrès est inévitable : d'où sort la conclusion que l'individu n'a pas besoin de s'en occuper : le résultat est e quiétisme social et l'inaction.
Au contraire l'homme instruit par l'histoire sait que la société peut être transformée par l'opinion, que l'opinion ne se modifiera pas toute seule et qu'un seul individu est impuissant à la changer. Mais il sait que plusieurs hommes, opérant ensemble dans le même sens, peuvent modifier cette opinion." L'Enseignement de l'histoire comme instrument d'éducation politique (Conférences du Musée pédagogique), Charles Seignobos