"- Je... est-ce que je peux venir avec vous, Vincent ?
- Tu veux m'accompagner ? A Paris ?... En Bretagne ?
- Oui, c'est exactement cela.
- Je suis désolé, mais il n'en est pas question.
- On a toujours dit...
- On n'a rien dit ! m'interrompit-il. Je n'ai pas le temps de m'occuper de toi. Je vais en Bretagne pour peindre, je n'ai pas l'intention de m'installer en couple. On n'a rien à faire ensemble, tu as dix-neuf ans, j'en ai le double, et moi ce que je veux, c'est peindre, pas fonder une famille.
-Moi aussi, je veux peindre. Je ne vous embarrasserai pas, vous ne vous rendrez pas compte de ma présence, on se retrouvera le soir, ou quand vous voudrez, je n'ai pas d'exigences vous savez, je ne vous demande rien, que de pouvoir rester près de vous. Et je vous aiderai dans votre peinture.
- C'est non, Marguerite, catégoriquement non. J'ai mon frère pour m'aider. Je n'ai besoin de personne d'autre.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, mais je vous aime, Vincent, comme aucune femme ne vous a aimé. Je ferai tout ce que vous voudrez, vous n'avez qu'à me dire. J'ai apporté mes bijoux, vous savez, les bijoux de ma mère, on peut les vendre facilement, en tirer un bon prix, vivre dessus longtemps, le temps que votre peinture soit reconnue et que...
- Tu ne veux pas entendre ce que je dis ou quoi ? Je ne veux pas que tu me suives. Ta vie est ici, Marguerite, pas avec moi. Va au bal, amuse-toi avec des jeunes de ton âge et oublie-moi. Marie-toi si ça te chante avec ton pharmacien, ce ne sera pas une mauvaise vie. Mais nous n'avons pas d'avenir ensemble.
- Vous m'aviez promis...
- J'ai été honnête avec toi, je ne t'ai jamais menti je n'ai jamais rien dissimulé, tu t'es fait des idées, c'est tout.
- Pourtant, tous les deux...
- Je ne voulais pas avoir de relations avec toi, tu es trop jeune, j'ai cédé, c'est vrai, je n'aurais pas dû, mais je n'ai rien promis.
- Si vous me quittez, je vais devenir folle.
- Non, Marguerite, tu seras triste un moment, mais ça passera, parce que tu as dix-neuf ans, et puis tu m'oublieras, et tu te demanderas même comment tu as pu tomber amoureuse d'un pauvre type comme moi, et tu en riras, et tu auras bien raison. Je t'aime bien, tu sais, mais entre nous deux, il n'y a rien de possible. Rien du tout.
- Vous n'avez pas compris. Ce n'est pas une petite amourette. Je vais mourir, c'est tout.
- Mais non, tu vas rentrer chez toi, et puis avec le temps...
- Vous ne savez pas de quoi je suis capable, Vincent, je ne suis pas une blanche colombe.
- Tu commences à me fatigue, Marguerite. Je ne suis pas amoureux de toi. Je ne t'aime pas, tu comprends ? Je ne peux rien pour toi.
- C'est horrible ce que nous sommes devenus. [...] Je vous ai vraiment aimé." La Valse des arbres et du ciel, Jean-Michel Guenassia