"Il y avait dans son visage quelque chose qui attirait irrésistiblement toutes les sympathies, ou pour mieux dire qui éveillait en celui qui la rencontrait une sympathie élevée, ennoblie. Il y a des visages qui ont ce bonheur. A côté d'elle chacun se sentait en quelque sorte mieux, plus à l'aise, plus au chaud, et cependant ses grands yeux tristes, pleins de feu et de force, avaient un regard craintif et inquiet, comme sous l'empire de la peur constante de quelque chose d'hostile et de menaçant, et cette étrange timidité couvrait parfois d'une telle mélancolie ses traits doux et calmes, qui évoquaient les lumineux visages des madones italiennes, qu'en la regardant on se sentait bientôt pris de la même tristesse que si son chagrin eût été aussi le vôtre. Ce visage pâle, amaigri, sur lequel, à travers l'irréprochable beauté des lignes pures et régulières et la mélancolique austérité d'une sourde détresse cachée, transparaissaient si souvent les traits radieux de la première enfance, image des confiantes années encore toutes proches et peut-être d'un candide bonheur  ; ce sourire calme mais incertain, hésitant - tout cela vous saisissait de tant d'intérêt spontané pour cette femme, que dans le cœur de chacun naissait involontairement une douce et chaude sollicitude, qui même à distance parlait haut pour elle et la rendait proche au plus indifférent. Mais la belle jeune femme paraissait taciturne, renfermée, bien qu'il n'y eût certes personnes de plus attentif et de plus aimant envers quiconque avait besoin de compassion. Il y a des femmes dans la vie qui sont comme des sœurs de charité. On peut devant elles ne rien cacher, du moins rien de ce qui fait mal et saigne dans l'âme. Celui qui souffre peut hardiment et avec espoir aller à elles, sans crainte d'être importun, car peu d'entre nous savent qu'il peut y avoir d'amour infiniment patient, de commisération et d'indulgence sans bornes dans certains cœurs féminins. D'immense trésor de sympathie, de consolation, d'espérances reposent dans ces cœurs purs, si souvent blessés eux aussi, car un cœur qui aime beaucoup souffre beaucoup, mais qui dissimulent soigneusement leur blessure aux regards indiscrets, car le chagrin profond le plus souvent se tait et se cache. Eux, la blessure des autre ne les rebute ni par sa profondeur, ni par sa suppuration, ni par sa puanteur : qui vient à eux, c'est qu'il en est digne ; ils sont comme nés pour le sacrifice... Mme M... était grande, souple et bien faite quoiqu'un peu mince. Tous ses mouvements étaient inégaux, tantôt lents, harmonieux et même non sans gravité, tantôt enfantinement prompts, et l'on sentait cependant dans ses gestes une sorte de douce humilité, quelque chose de palpitant et sans défense, qui ne demandait pourtant protection à personne." Un petit héros, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski