"Quand j'eus l'honneur de le voir [Émile Zola], pendant son exil dans ces environs de Londres, où il s'était remis au travail, il me dit : « Je ne me plains pas de l'épreuve. Elle m'a révélé la vanité de bien des choses auxquelles je tenais trop, le néant de certaines glorioles littéraires. Je pressens des temps nouveaux. Je sens monter des étoiles nouvelles. »
Elles montaient dans le soir d'une vie assombrie par l'épreuve, par l'injustice des hommes, par l'ombre de l'exil, mais qui gardait encore une profonde rumeur d'action. Elles rayonnaient d'une force invincible sur son œuvre vaste et mêlée, sur son expérience confuse et tragique, comme ces étoiles qui se lèvent d'une douceur souveraine sur la Paris nocturne, énorme et tumultueux encore, fangeux et splendide, tout plein de rêve, et dont les nuits étranges, mêlées de frissons sublimes et de spasmes abjects, de lueurs sidérales et de reflets boueux, semblent méditer de surprenantes aurores, où toutes les âmes se laveront, les unes de leur boue, les autres de leur orgueil, dans une même lumière, dans la même fraîcheur matinale du monde renouvelé.
Ce ne sera pas la victoire d'un idéalisme timide et partiel procédant par sélection ; ce ne sera pas l'étroite libératrice d'une élite : ce sera l'affranchissement de toute l'humanité, avouant et étalant ses misères, ses haillons ses bouge, et trouvant enfin, dans cet énergétique aveu de soi-même, la force de se libérer, d'appeler sur tous la science et le bonheur.
En ce rêve, incomplet sans doute et qui ne comprend pas tout l'homme, mais qui dépasse infiniment les horizons prochains du socialisme même, la pensée de Zola s'élargissait. Et tout ce qu'il y avait d'idéalisme latent dans son naturalisme outrancier se dégageait. C'est cette force sublime d'espérance, palpitant dans la grossièreté même de la vie, qui va tout à l'heure entrer au Panthéon." « Vers l'avenir », L'Humanité, Jean Jaurès